Par Isabelle Orgogozo, DG de la Administration et la Fonction Publique, Paris, France
(Résumé d’une conférence prononcée a la I Reunión de la Communauté Internationale d’Experts de NSF a Bilbao, le 15 Décembre 2004, et basée sur un article publié dans Thérapie Familiale n°1, 1996, Editions Médecine et Hygiène, Genève)
L’enfance et l’adolescence… – La première phase de mondialisation remonte à la Renaissance. Elle a pris fin au terme de la décolonisation. La deuxième phase dans laquelle nous entrons se caractérise par une interpénétration rapide des cultures, des peuples et des langues qui rend la tache parentale beaucoup plus difficile. Les rôles, les codes et les valeurs qu’ils avaient reçus de leurs parents ne relèvent plus de l’évidence. Coupés de leur passé, les adolescents sont également incertains quant à leur avenir. Que transmettre? Il faut faire comprendre que les codes, bien que relatifs, sont nécessaires parce qu’ils véhiculent un sens, qu’il appartient à chacun d’inventer son propre chemin et de reconstruire une histoire du monde qui donne un sens au présent……
…Pour conclure, je vous propose de revenir à la première phase historique de la mondialisation que nous évoquions au début, la période de la Renaissance.De nouveaux codes de comportements, une nouvelle représentation du monde et de la place qu’y occupent les hommes sont aujourd’hui en gestation, comme à la Renaissance. Nous avons, comme les humanistes des XVe et XVIe siècles qui se sont passionnés pour la pédagogie et ont inventé, contre les écoles du Moyen Age, des méthodes fondées sur la pratique des auteurs anciens, le respect de la personnalité de l’enfant, le dialogue entre le maître et l’élève, l’alternance entre l’effort intellectuel et le jeu, une ouverture sur la société réelle et le monde, à réinventer la transmission en trouvant sans doute le même fondement que celui du mouvement humaniste résumé par une phrase de Pic de la Mirandole: «J’ai lu dans les livres des Arabes qu’on ne peut rien voir de plus admirable dans le monde que l’homme.»
Mais nous avons à faire cela au moment où la représentation moderne du temps est en crise. Au début de ce siècle, «la fée électricité» ne promettait que des progrès. A la fin de ce siècle, «le lutin atome», «le farfadet génétique» ouvrent des perspectives beaucoup plus ambivalentes. A cela s’ajoute une nouvelle répartition de la richesse et du travail sur la planète, dans un contexte d’explosion démographique laissant peu d’espoir de voir progresser le bien-être pour tout le monde dans les décennies qui viennent. Tout ceci ne peut rester sans effets sur la représentation du temps que se font les sociétés modernes.Le succès mondial du film «Le cercle des poètes disparus» où s’affiche la morale «Carpe diem», est un signe de ce changement. Horace, poète latin à peine antérieur à Jésus-Christ, auteur de cette fameuse maxime, était considéré par les humanistes de la Renaissance comme le modèle des vertus d’équilibre et de mesure. Sénèque, du temps de Néron, les humanistes de la Renaissance recommandaient une relation confiante et ouverte entre le maître et son élève. Telle est la relation que le professeur du Cercle des poètes disparus cherche à établir avec sa classe. On peut discuter de la qualité du film, mais le succès qu’il a rencontré auprès des jeunes nous dit quelque chose sur ce qu’ils attendent des adultes. Et ce que dit ce professeur, c’est que la vie est courte, que les grands ancêtres de l’école fertilisent les jonquilles, que la mort est au bout du chemin et qu’il faut avoir le courage de vivre, qu’il faut penser par soi-même, trouver son propre angle de vue sur les choses. Et cet enseignement iconoclaste a pour effet de donner aux élèves le courage de vivre, le désir d’essayer d’autres conduites, même s’ils ont peur et si parfois cela se termine tragiquement.
Lorsque les systèmes sociaux se décomposent, les philosophes et les poètes mettent en avant une morale du présent: se réjouir des bonheurs les plus simples, ne pas chercher la gloire ou la fortune, chercher la mesure et l’équilibre, garder la lucidité, ne pas nuire à autrui, telles sont quelques-uns des principes qu’il convient sans doute de pratiquer afin d’être capable de les transmettre.Notre deuxième tâche consiste, comme les humanistes, à réinventer notre histoire, faire engendrer Goliath par Atlas, pour que les enfants de demain se sentent descendants de l’Europe, voire de l’humanité et non de la Gaule, de la Germanie ou de la Bretagne. L’Europe a une histoire commune qu’elle doit se raconter pour inventer son avenir.Les familles réinventent leur histoire en thérapie, nous avons à réinventer l’histoire du monde pour ceux qui nous suivent, pour qu’ils puissent inventer leur chemin.